« Où est Seda ? », le fight désespéré pour sauver une jeune Russe d’un « crime d’honneur »

LETTRE DE MOSCOU

A Saint-Pétersbourg (Russie), une affichette montrant le visage de Seda Souleïmanova, enlevée dans cette ville en août 2023.

Quelques photos sur les réseaux sociaux, le dessin d’un visage orné d’une larme de sang et un hashtag, en forme de cri de désespoir, « GdeSeda » (« où est Seda ? »). C’est tout ce qui reste aux amis de Seda Souleïmanova pour, si ce n’est la trouver, continuer de croire que la jeune femme est vivante. Où est Seda ? Quelque part en Tchétchénie, retenue par sa famille, ou victime d’un mal nommé « crime d’honneur » ?

Le sujet des jeunes femmes du Caucase russe maltraitées, retenues contre leur gré et, en cas de fuite, ramenées de force chez elles, est récurrent : les quatre sœurs bloquées à la frontière géorgienne sur la base de fausses accusations de vol ; Marina Iandieva, qui doit choisir entre rentrer à la maison ou voir le juriste qui l’a aidée à fuir se faire assassiner ; les sœurs Khatchatourian, emprisonnées pour avoir tué leur père violent…

L’intérêt de ces histoires ne réside pas tant dans la prégnance en Russie des violences domestiques, ou dans la pratique des « crimes d’honneur » dans les régions méridionales, que dans la façon dont les autorités, dans tout le pays, se montrent complices des bourreaux.

Seda Souleïmanova à Saint-Pétersbourg (Russie). Son dernier emploi : garder des chiens.

Le cas de Seda Souleïmanova en offre une autre confirmation. La jeune femme n’est pas une adolescente fugueuse : lorsqu’elle choisit de quitter la Tchétchénie, elle a 26 ans. A la maison, elle étouffe. Si elle a échappé au sort de ses sœurs, mariées de force entre 15 et 18 ans, et a pu faire des études de médecine, son mode de vie déplaît à son oncle et à son frère (son père a été tué dans un bombardement russe sur une colonne de réfugiés, en 1999). Elle veut dessiner, voyager, voir de nouveaux visages…

« Où que tu ailles, nous te trouverons »

« Trop libre, résume son amie Lena Patiaïeva, 31 ans, qui l’a vue arriver à Saint-Pétersbourg fin 2022. Et surtout généreuse, extrêmement bienveillante, lumineuse… » A l’époque, Seda a bénéficié de l’aide de l’association SK SOS (« Caucase du Nord SOS ») pour partir de chez elle. Un temps hébergé par ses membres, elle prend son indépendance : dans la capitale du Nord, Seda découvre la peinture, la musique, la mer…

Les photos la montrent heureuse, souriante. Elle court sur la plage en écartant les bras face au vent. Elle rencontre un garçon, Stanislav. Consciente de la précarité de sa situation, elle fait tout pour le faire fuir, mais le garçon s’obstine, le couple ébauche des projets d’avenir. Sans y croire tout à fait, ils préparent des scénarios de fuite.

Seda Souleïmanova et Lena Patiaïeva, dans la région de Saint-Pétersbourg (Russie).

Car, en février 2023, il y a eu une première alerte. Un cousin fait irruption dans le café où Seda est employée ; elle peut s’échapper grâce à l’intervention d’un client. La vidéosurveillance a gardé trace des menaces du cousin : « Où que tu ailles, nous te trouverons. S’il le faut, nous nous adresserons aux forces de l’ordre, d’ici ou d’ailleurs. » Suivront des mois de menaces de mort par téléphone.

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