« Le Racisme ordinaire au travail » : une psychologue met en lumière le calvaire vécu par ses sufferers

« J’ai compris qu’elle voulait me détruire. Tous les matins, j’étais pliée en deux rien qu’à l’idée de me rendre au travail. Je vomissais, je pleurais, j’avais des crises d’angoisse, je ne dormais pas la nuit, mais il fallait que j’y aille. Cela a duré environ huit mois. » Face à sa psychologue, Esther revient sur le calvaire qu’elle a vécu dans la société d’événementiel où elle travaillait.

Sa directrice multipliait les humiliations. « Elle s’est mise à me parler petit nègre en permanence. C’était comme si j’étais sotte. Elle répétait comme un leitmotiv : “Moi pas comprendre toi.” » La quinquagénaire, métisse, a été durablement marquée : elle a été licenciée voici plus de trois ans et porte toujours une intense souffrance. « Je ne m’en sors pas », reconnaît-elle. Le cheminement avec sa psychologue lui permettra progressivement de retrouver de la sérénité, en décryptant notamment les rapports de domination qui se jouaient derrière les préjugés raciaux.

Dans son ouvrage, Le Racisme ordinaire au travail (Erès), la psychologue Marie-France Custos-Lucidi revient sur l’histoire vécue par sept de ses patients. Esther, Inaya ou Abdel… Tous ont connu de grandes souffrances dans le cadre professionnel, victimes de racisme et de discriminations. La psychologue met en lumière leurs douleurs, les nœuds psychiques dont ils vont tenter, séance après séance, de se libérer, mais aussi les processus déployés par leurs encadrants pour les soumettre.

On est saisi, au fil des pages, par les similitudes entre les différentes expériences relatées. La volonté d’excellence qui anime certains salariés, le travail intense fourni, et la difficulté à trouver des postes équivalents à leur niveau de diplôme. L’acceptation, aussi, durant de longs mois, des brimades. La collaboration, parfois, à un système dont ils réprouvent pourtant l’éthique.

Une « servitude volontaire »

Pour « sécuriser [un] titre de séjour » ou pour tenter d’intégrer un monde des « puissants » qui se refuse à eux, ils endurent, pris dans une « servitude volontaire ». Leur implication dans le système qui les ronge est une autre source de souffrance. Mais c’est en prenant conscience de cette même implication qu’ils parviendront à desserrer l’étau et à retrouver leur souffle vital.

L’ouvrage nous permet de suivre pas à pas les patients, de comprendre les mécanismes subtils qui s’expriment, en eux, dans leur quête d’une « place sociale ». Le parcours professionnel croise l’histoire personnelle, familiale. De multiples facteurs s’entremêlent pour expliquer leurs agissements et, par extension, leur souffrance. Abdel, ingénieur de base de données, se souvient ainsi qu’enfant, sa mère lui répétait : « Ne faites pas de bruit, n’ayez de problèmes avec personne. » Cette assignation permet de mieux comprendre la relative passivité dont il fait preuve face aux humiliations et à un parcours professionnel qui l’affecte.

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