En Turquie, le tournant de la rigueur pour lutter contre l’hyperinflation ne convainc pas

Sur un marché de rue à Istanbul, en Turquie, le 19 mars 2024.

Il y a quelque chose de profondément antinomique dans la politique menée par la Turquie vis-à-vis de son économie. Après des années d’errance illustrées par une opposition têtue du président Recep Tayyip Erdogan à augmenter les taux au nom de la sacro-sainte croissance – une obsession qui a coûté au pays une inflation à trois chiffres –, son ministre de l’économie, Mehmet Simsek, a réussi à imposer, depuis sa nomination, en juin 2023, un virage à 180 degrés. Objectifs : la désinflation et le retour à une certaine orthodoxie financière.

Les taux d’intérêt ont été relevés à plusieurs reprises pour devenir, in fine, les plus élevés au monde, passant de 8,5 % à 50 % sur les douze derniers mois. Et le taux d’intérêt mensuel maximal sur les cartes de crédit, un moyen d’emprunt très prisé par les consommateurs à court d’argent, a triplé sur la même période, pour atteindre 4,25 %.

Le gouvernement a également augmenté les taxes et les taux d’imposition des sociétés, indiqué qu’il ne relèverait pas le salaire minimum en 2024 (après une hausse de près de 50 % en janvier), et annoncé le gel des traitements de la fonction publique et des pensions de retraite. Le 13 mai, le ministère de l’économie s’est même engagé à réduire les dépenses de l’Etat à la faveur de ce qu’il a appelé un « plan de rigueur ».

Afin de contrer l’envolée des prix, rendue en partie responsable de la défaite électorale du parti AKP au pouvoir, fin mars aux municipales, le ministre Simsek a ainsi notifié un arrêt des achats de voitures étrangères pour le parc automobile du gouvernement et la suspension des constructions de nouveaux bâtiments publics.

Potion amère

Autant de mesures saluées par les investisseurs, surtout aux Etats-Unis. Les banques Bank of America, J.P. Morgan et Goldman Sachs ont émis des avis extrêmement positifs. Citigroup est allé jusqu’à évoquer un moment de « renaissance » pour les marchés turcs. Seulement, la potion amère du gouvernement, dont l’incidence sera encore plus forte sur les bas salaires, les classes moyennes et les retraités, a été différemment appréciée en Turquie. Surtout, le décalage entre la frénésie des annonces officielles et les résultats a rarement semblé aussi grand.

D’abord, les derniers chiffres de l’inflation, publiés lundi 3 juin, ont révélé une augmentation des prix à la consommation de 75,45 % sur un an en mai (contre 69,8 % en avril), selon l’Office national des statistiques. Des données qui tutoient à nouveau celles des pires poussées inflationnistes de 2022.

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