Autour de l’usine allemande de Tesla, la réindustrialisation ne fait pas l’unanimité

L’usine Tesla de Grünheide (Allemagne), le 19 mars 2024.

L’endroit a longtemps été délaissé. Une de ces gares rurales abandonnées que l’on aperçoit par la fenêtre d’un train, en imaginant l’époque révolue où les lieux abritaient une vie de village. Tesla a tout changé. Fangschleuse, minuscule arrêt au milieu des forêts de pins du Brandebourg, sur la ligne régionale entre Berlin et Francfort-sur-l’Oder, à trente kilomètres de la capitale, est devenu en deux ans un des lieux les plus médiatisés de la République fédérale d’Allemagne.

La gare est désormais l’un des principaux sites de desserte de l’usine Tesla de Grünheide, inaugurée en mars 2022, où travaillent 12 000 personnes. Cet endroit du Brandebourg, Land rural de 2,5 millions d’habitants entourant la vibrante métropole berlinoise (3,7 millions d’habitants), est devenu le théâtre de quelques-unes des plus grandes controverses et oppositions qui secouent actuellement la société allemande : industrie contre écologie, libéralisme contre régulation, ville contre campagne, Est contre Ouest.

A Fangschleuse, dans le ballet des trains, se croisent quotidiennement salariés de l’usine, syndicalistes, responsables politiques, militants écologistes et activistes locaux. Ceux qui viennent pour travailler sont les plus reconnaissables : ils portent un pantalon noir et une veste griffés du logo rouge Tesla. Plus de la moitié d’entre eux viennent de Berlin. Ils marchent en groupe, parlent souvent d’autres langues que l’allemand et avancent d’un pas rapide vers la navette qui les conduit dans l’immense complexe industriel.

Une pression forte

On y croise aussi un jeune permanent d’IG Metall, qui travaille dans la jolie maison de garde-barrière louée par le syndicat allemand. IG Metall en a fait une cellule d’information et de recrutement. « L’intérêt est grand », souligne Markus Sievers, porte-parole du syndicat, qui dénonce une pression forte du constructeur sur les salariés. S’il salue la présence de Tesla dans la région, le premier syndicat indépendant du monde supporte mal qu’Elon Musk refuse toujours de rattacher l’entreprise à la convention collective de la branche, sur un site en passe de devenir la première usine automobile d’Allemagne.

Et puis il y a Manu Hoyer. La militante de 65 ans, cheveux courts et chiens en laisse, a cofondé la Bürgerinitiative Grünheide, une initiative citoyenne locale qui se bat depuis des mois contre l’extension de l’usine. « Il y a vingt ans », elle a quitté la bruyante Berlin, où elle est née, pour « le calme du Brandebourg », raconte-t-elle. Depuis que Tesla s’est installé, elle accuse le constructeur américain de saccager les lieux avec la bénédiction coupable des autorités. L’abattage des pins, les livraisons par camion, la pollution lumineuse de l’usine ont détruit l’écosystème des environs, estime-t-elle.

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