A Luhamaa, face à la Russie, « nous ne gardons pas seulement la frontière estonienne, mais celle de l’Europe »

Habib ne comprend pas ce qui bloque. Propriétaire d’un PMU à Carpentras (Vaucluse), ce quinquagénaire vient de passer la nuit sur le parking du poste-frontière de Luhamaa, à 310 kilomètres au sud-est de Tallinn, la capitale de l’Estonie. La Russie n’est plus qu’à quelques centaines de mètres. La voiture pleine, Habib (les personnes citées par leur prénom n’ont pas souhaité donner leur nom) rend visite à son fils de 21 ans, qui vit avec sa mère à Pskov, côté russe. Le Carpentrassien compte y passer un mois avant de repartir en France. Mais, pour le moment, la file d’attente à la douane n’avance pas.

Contrôle d’un véhicule au poste-frontière de Luhamaa (Estonie), le 25 avril 2024.
Une file de camions s’étend sur plus de dix kilomètres en avant du poste-frontière de Grebneva, en Lettonie à la frontière avec la Russie, le 25 avril 2024.

Dans son uniforme de police, le chef des gardes-frontières, Peter Maran, montre les feux rouges, de l’autre côté de la ligne de démarcation entre les deux pays. Les véhicules passent au compte-gouttes. Entre cinquante et soixante camions – « cent les bons jours » – entrent quotidiennement en Russie en passant par Luhamaa, l’un des quatre derniers points de passage encore ouverts entre l’Union européenne (UE) et la Russie.

« Nous sommes ici à la frontière entre deux mondes, constate Peter Maran. D’un côté, vous avez le monde démocratique, de l’autre, un monde totalitaire. » Entre les deux, les employés de Luhamaa doivent s’assurer qu’aucune marchandise visée par les treize paquets de sanctions adoptés par les Vingt-Sept depuis l’invasion de l’Ukraine ne passe la frontière. Une tâche qui relève vite du casse-tête, tant les exceptions sont nombreuses et l’ingéniosité des fraudeurs sans limites.

Dans la salle de contrôle aux murs recouverts d’écrans diffusant les images des caméras de surveillance, un douanier vérifie les papiers que vient de lui soumettre le conducteur serbe d’un camion immatriculé en Finlande, transportant des marchandises venant de toute l’Europe, destinées à des clients à Moscou. Il y a plus d’une vingtaine de déclarations. L’employé tape sur son ordinateur les codes à une dizaine de chiffres identifiant chaque marchandise, pour s’assurer qu’elles ne figurent pas sur l’interminable liste des sanctions.

En cas de doutes, une fois les documents vérifiés, les douaniers fouillent les véhicules. Ils commencent par inspecter la cabine. Au début, certains chauffeurs leur présentaient de fausses déclarations et cachaient les vraies à bord.

Statistiques « très inquiétantes »

Les poids lourds suspects sont ensuite passés au scanner. « Les méthodes de détournement des sanctions évoluent en permanence », révèle Toomas Huik. Dans un hangar fermé à double tour, l’affable responsable des douanes montre les plus belles prises de son équipe, dont une cinquantaine de caisses en bois remplies de grenades d’entraînement, que leurs propriétaires ont tenté de faire passer pour des jouets.

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