« Pour la justice espagnole, une vie digne n’est attainable que dans des milieux naturels fonctionnels »

C’est une décision importante, sur le plan juridique mais aussi philosophique, que vient de rendre le Tribunal constitutionnel espagnol en confirmant, le 20 novembre, la constitutionnalité de la loi sur la Mar Menor et en consacrant ainsi une nouvelle catégorie de « personne juridique » sur le sol européen.

La Mar Menor, située dans la communauté autonome de Murcie, en Espagne, est la plus grande lagune d’eau salée d’Europe. Jadis trésor de biodiversité, elle est désormais étouffée par les dysfonctionnements cumulés du tourisme, de l’agriculture et des industries minières. Après qu’en 2019, des centaines de cadavres de poissons asphyxiés ont été retrouvés à sa surface, Maria Teresa Vincente Giménez, professeure de philosophie du droit de l’université de Murcie, a lancé une procédure inédite en Europe.

Pour mieux protéger la lagune, elle a réussi à mobiliser plus de 600 000 signatures en faveur d’une initiative législative populaire demandant la reconnaissance de la personnalité juridique de la Mar Menor et de son bassin. Cette procédure a conduit le Parlement à voter, le 30 septembre 2022, une loi reconnaissant à Mar Menor une personnalité juridique pour défendre ses droits à exister et à évoluer selon une « loi écologique » qui lui permette de se maintenir face aux pressions anthropiques.

La loi prévoit ainsi la création d’un « tutorat » composé de trois organes : un comité des représentants (administrations publiques et citoyens des municipalités côtières) ; un comité de suivi assuré par les gardiens de la lagune ayant déjà défendu l’écosystème ; et un comité scientifique. En outre, toute personne physique ou morale pourra intenter une action et parler au nom de la lagune pour défendre ses droits devant un tribunal compétent.

Zone humide d’importance internationale

Mais, aussitôt votée, la loi fut déférée devant le Tribunal constitutionnel par 52 députés du parti d’extrême droite Vox. Ils soutenaient qu’en accordant la personnalité juridique à une entité naturelle, la loi avait assimilé une lagune à l’être humain, lui conférant une dignité que la Constitution espagnole, d’inspiration anthropocentrique, réserve aux humains. Par ailleurs, ils invoquaient la violation du système constitutionnel de répartition des compétences entre l’Etat et les communautés autonomes, la loi sur la Mar Menor n’étant pas applicable à l’ensemble du territoire national.

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