L’horlogerie suisse, qui s’est réinventée, peut-elle inspirer l’car allemande ?

Une montre-bracelet Breguet en or blanc 18 carats à calendrier perpétuel avec date rétrograde et phases de Lune, lors d’une avant-première presse de la maison de vente aux enchères Christie’s, à Genève, le 7 novembre 2024.

L’horlogerie est à la Suisse ce que l’automobile est à l’Allemagne : une industrie emblématique du pays, riche d’une longue tradition, fortement exportatrice. Les deux produits, en version haut de gamme, sont des signes extérieurs de richesse prisés des élites économiques du monde entier. Ils ont aussi en commun d’avoir subi une crise majeure dans leur histoire. La « crise du quartz », qui a bouleversé l’horlogerie suisse dans les années 1970, a des points communs avec la crise du véhicule électrique que traverse aujourd’hui l’automobile allemande, qui dominait jusqu’ici avec ses berlines thermiques.

« L’arrivée sur le marché de la montre à quartz, développée par le japonais Seiko en 1968, a été une disruption pour l’industrie horlogère traditionnelle. Elle était moins chère et plus facile d’entretien que la montre à mouvement. Les fabricants suisses, qui étaient à l’époque les leaders mondiaux du secteur, ont vu s’effondrer leurs parts de marché mondiales », raconte Pierre-Yves Donzé, historien spécialiste de l’horlogerie, professeur à l’université d’Osaka (Japon).

L’horlogerie suisse est cependant parvenue à se réinventer à partir des années 1980, et a même consolidé sa position sur le marché du luxe. Avec 4 % du PIB, c’est aujourd’hui le troisième exportateur du pays, derrière le secteur de la chimie et de la pharmacie et celui des machines, industries traditionnelles de l’économie helvétique.

Volume et dimension « artisanale »

Comment a-t-elle réussi le tournant ? Les horlogers suisses ont mené une double stratégie : d’abord sur les volumes, avec la marque Swatch, qui a intégré la technologie quartz. Dans les années 1980, l’appareil de production a été entièrement réorganisé, avec des fusions et des rachats. Ensuite, l’industrie a réinvesti la dimension « artisanale » de l’horlogerie, avec des montres traditionnelles à mouvement, vendues très cher. « Bien sûr, cette idée de montre artisanale est une image, car la production est extrêmement industrialisée. Rolex fabrique un million de montres par an. Mais on a véhiculé avec succès cette image de tradition, d’héritage, pour faire de la montre un accessoire de mode, quasiment inutile. Malgré tout, l’horlogerie suisse n’a jamais retrouvé ses niveaux d’emploi de 1960 », poursuit M. Donzé.

L’automobile allemande peut-elle aussi se réinventer, avec des capacités de production réorganisées sur un segment volume électrifié et une spécialisation encore renforcée sur le luxe, la tradition et l’héritage ? C’est un discours souvent entendu chez les constructeurs, notamment Porsche et Mercedes, ces dernières années. La stratégie fonctionne… à condition que les consommateurs fortunés continuent d’acheter. Or, le marché chinois, qui a permis à toutes les marques de luxe du Vieux Continent, qu’elles soient suisses, allemandes ou françaises, d’enregistrer d’énormes bénéfices depuis deux décennies, est en crise. En 2024, l’horlogerie suisse a ainsi constaté une forte baisse de ses ventes en République populaire, même sans concurrence chinoise directe. Preuve que la technologie n’est pas toujours le moteur du marché.