La BCE accusée d’étouffer la croissance en Europe

Pierre Gramegna, directeur général du Mécanisme européen de stabilité, s’entretient avec Christine Lagarde, présidente de la BCE, à Luxembourg, le 20 juin 2024.

C’est une récente rencontre entre d’importants financiers américains et un de leurs contacts à Paris. « Mais alors, que se passe-t-il en Europe ? Pourquoi vous ne faites rien pour votre croissance ? » Eux ont décidé de ne plus mettre un centime sur le Vieux Continent. Ils constatent, incrédules, l’apparente impuissance des pouvoirs publics face à la stagnation économique de la zone euro.

La croissance européenne a décroché de celle des Etats-Unis depuis la crise financière de 2008, mais l’écart s’est encore accentué après la pandémie liée au Covid-19. Depuis le quatrième trimestre 2019, la croissance américaine a été de 9,4 %, plus du double des 4 % de la zone euro − et des 3,8 % en France. Les facteurs d’explication sont nombreux : le choc énergétique a été plus fort en Europe à cause de la proximité géographique de la guerre en Ukraine ; les Etats-Unis sont exportateurs nets d’hydrocarbures ; les dépenses budgétaires sont moins importantes en Europe, alors que la Maison Blanche a accordé d’énormes crédits pour tenter de réindustrialiser le pays… Mais une autre raison, de plus en plus souvent avancée, est l’action de la Banque centrale européenne.

Celle-ci se réunit cette semaine et pourrait annoncer, jeudi 12 septembre, une baisse de ses taux d’intérêt, de 3,75 % à 3,5 %. Il s’agirait de la deuxième baisse, après un premier recul de 4 % à 3,75 % en juin. Mais n’est-ce pas trop peu et trop tard, alors que la croissance européenne est atone et semble avoir encore ralenti au troisième trimestre ?

Des causes très différentes

« La BCE n’a pas réussi son coup, contrairement à la Fed [Réserve fédérale, la banque centrale américaine] », estime Mabrouk Chetouane, le directeur stratégie pour les marchés internationaux à Natixis IM, une société de gestion d’actifs. Lui voudrait une action beaucoup plus vigoureuse de l’institution monétaire : « Il faut aller plus vite et plus fort, en annonçant un tunnel de baisses de taux. » Même argument pour Nicolas Goetzmann, responsable de la recherche économique à la Financière de la Cité, une société de gestion. « La BCE s’est trompée : pour réduire l’inflation, elle a cherché à ralentir la demande intérieure, alors que ce n’était pas le problème. »

Pour comprendre ces attaques contre l’institution de Francfort, il faut revenir à la sortie de la pandémie, fin 2021. Le grand retour de l’inflation a pris par surprise toutes les banques centrales, sans exception. Aux Etats-Unis comme en Europe, les causes semblaient les mêmes : dérèglement des chaînes logistiques (pénurie de microprocesseurs, de matières premières, transport maritime débordé…) et flambée du prix du gaz quand Vladimir Poutine a coupé l’approvisionnement vers l’Europe. Les chiffres étaient effectivement similaires : dans la zone euro, le pic d’inflation a été de 10,6 % en octobre 2022 ; aux Etats-Unis, il a été de 9,1 % en juillet 2022. Depuis, les deux courbes baissent, et l’inflation est revenue respectivement à 2,2 % et à 2,9 %.

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