Fractures françaises : « Comment vivent les Français ? »

Dans une allée d’un supermarché zéro déchet à Labège (Haute-Garonne), le 1er juin 2024.

Et si nous analysions les « Fractures françaises », l’enquête réalisée par Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Centre de recherches politiques de Sciences Po et l’Institut Montaigne, réalisée du 14 au 21 novembre auprès d’un panel de 3 000 personnes, non pas en partant des opinions sur la France mais du ressenti des Français ? Et si nous essayions d’esquisser un portrait en kaléidoscope des Français, un portrait « à l’échelle humaine », du nom de l’ouvrage (Gallimard, 1945) rédigé en captivité par Léon Blum (1872-1950), figure du Front populaire de 1936 ?

Premier angle de vue : comment disent-ils vivre, eux que l’écrivain Sylvain Tesson voyait comme des gens qui vivent « au paradis » et « se croient en enfer » ? Ils vivent difficilement et le chiffre doit être médité : 55 % déclarent qu’il leur est difficile de « joindre les deux bouts » – c’est-à-dire d’assumer non pas le petit plaisir superflu ni la grosse dépense exceptionnelle mais les seules « dépenses courantes ». Ce chiffre-là explique beaucoup – et notamment pourquoi le pouvoir d’achat reste, de loin, en tête de la hiérarchie des préoccupations.

Dans le même temps, ils sont bien intégrés dans un réseau de sociabilités : 61 % se déclarent « entourés », et davantage encore les seniors (74 % chez les plus de 70 ans) ; 92 % des Français se trouvent « écoutés » et disent avoir à qui parler de leurs problèmes personnels (même si ce n’est souvent, à 55 %, qu’à une ou deux personnes). Ils sont très nombreux, 73 %, à être partis en vacances durant les douze derniers mois – 19 % dans leur région, 48 % ailleurs en France, 29 % à l’étranger. Et ils se déclarent plutôt satisfaits de leur vie : sur une échelle de 0 à 10, 50 % se placent entre 7 et 10 et 40 % supplémentaires dans une position moyenne, entre 4 et 6.

Nostalgie abstraite

Deuxième angle de vue : comment se définissent-ils ? Si nous sommes dans ce que Norbert Elias avait appelé en 1987 la « société des individus » (du nom d’un ouvrage paru en France en 1991 chez Fayard), où chacun se construit et se bricole sa propre identité, il n’en demeure pas moins que des lignes de forces se dégagent clairement lorsque l’on interroge les Français sur les trois éléments qui les caractérisent le mieux. Il y a, d’abord, à 40 %, la nationalité – nous sommes d’abord Français. Il y a, ensuite, la génération : 38 % des Français pensent être définis par leur âge et ce sentiment monte à 52 % à partir de 60 ans.

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