Fabien Bottini, juriste : « Les mesures prises en soutien de la transition écologique n’échappent pas au risque d’un droit plus formel que réel »

Depuis l’Ancien Régime, la France a développé un savoir-faire multiséculaire dans l’organisation de son économie, qu’elle a progressivement mis à profit, à partir de 1789, pour assigner au marché la réalisation des fins d’intérêt général nécessaires à la préservation des intérêts fondamentaux de la nation, selon des modalités pratiques propres aux spécificités de chaque époque.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, il s’agissait de reconstruire le pays.

A la suite des chocs pétroliers des années 1970, il s’agissait d’inscrire l’économie nationale dans les flux de la mondialisation et du marché unique européen dont devait découler la création des richesses nécessaires au progrès social.

Désormais, il s’agit de mobiliser l’action publique économique pour faire de la logique concurrentielle du marché un levier de la transition écologique et numérique, dans un contexte de tension géopolitique et de raréfaction des ressources naturelles.

D’où un nouvel usage stratégique du droit économique et des finances publiques, consistant pour l’Etat et les instances européennes à mobiliser l’ensemble des règles, des outils et des acteurs du développement économique, de façon à assigner de nouvelles finalités d’intérêt général aux acteurs du marché.

Responsabilité élargie des producteurs, devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre, responsabilité sociale et environnementale des entreprises… les manifestations de cette recomposition de la relation Etat-marché ne manquent pas. Au point que, d’économique, l’ordre public dont la puissance publique est la garante devient chaque jour un peu plus « écolonomique », pour interpénétrer, via la règle de droit, les contraintes écologique et économique, dans une logique de cercle vertueux et une perspective de justice sociale.

Changer les comportements

Le succès de cette entreprise dépend toutefois de la capacité des autorités à assurer l’application effective et efficace des mesures prises, c’est-à-dire à éditer un droit qui ne soit pas seulement formel, mais bien réel, car suivi d’effets concrets, permettant de changer les comportements individuels et collectifs pour atteindre les objectifs des accords de Paris de 2015 et de Dubaï de 2023 dans le cadre tracé par le Pacte vert européen.

Or, de la loi Leonetti de 2005, consacrant le droit de chacun aux soins palliatifs, à la loi EGalim I du 30 octobre 2018, visant à garantir un revenu digne aux agriculteurs… les exemples se multiplient de la difficulté de la règle de droit à être suivie d’effet sur des sujets de société pourtant sensibles : seul un tiers des patients aurait accès aux soins palliatifs, et la fronde des agriculteurs début 2024 était pour partie motivée par le non-respect des dispositions censées garantir leurs revenus.

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