En Turquie, une série télévisée « miroir de la société », passée de l’interdiction à un carton d’viewers
LETTRE D’ISTANBUL
La Turquie est un pays fascinant. Un peu moins d’un an après avoir enflammé les réseaux sociaux, provoqué une interdiction de diffusion de deux semaines par les hautes autorités d’Ankara et suscité la colère des franges les plus conservatrices de la société, une série télévisée consacrée à la vie d’une femme membre d’une confrérie religieuse a réussi un tour de force peu imaginable ailleurs : celui de rassembler un soir par semaine (ici, le lundi) les fractions les plus opposées du public, les croyants et les laïques, les adorateurs de l’indéboulonnable Recep Tayyip Erdogan et ceux qui le détestent, en d’autres mots, les deux blocs les plus représentatifs et antagonistes de ce pays que l’on dit polarisé à l’extrême.
Mais reprenons. Nous avions laissé la série Boutons rouges (Kizil Goncalar, son nom en turc, qui fait référence aux boutons de rose) en janvier. Après à peine deux épisodes, celle-ci s’était invitée à la une des actualités turques. Vent debout, les médias progouvernementaux conservateurs poussaient des cris d’orfraie, se déclarant scandalisés par tant d’irrévérence et d’impertinence envers la religion et ses croyants. L’opposition, elle, en appelait à la liberté d’expression.
Deux épisodes venaient d’être interdits par le RTÜK, le Conseil supérieur de la radio-télévision, et une lourde amende infligée au diffuseur, la chaîne privée Fox TV. De fait, Boutons rouges avait touché un nerf à vif de la société turque et mit le doigt sur l’état d’éréthisme dans lequel vit le pays, encalminé dans une obsédante « guerre morale » entre deux styles de vie, l’un laïque, l’autre islamique.
Pourquoi ? D’abord parce que la série arrivait sur les petits écrans dans le vacarme d’élections municipales à venir, un scrutin qui allaient consacrer l’une des plus grandes défaites que la formation islamo-conservatrice du président Recep Tayyip Erdogan, le Parti de la justice et du développement (AKP), ait enregistrée depuis son arrivée au pouvoir, en 2002. Ensuite, il y a cette trame de l’histoire qui suit la rencontre entre une femme et un homme issus de milieux diamétralement opposés, qui en Turquie, dans la vraie vie, ne se parlent pas, ou si peu.
« Thérapie télévisuelle »
Interprétée par deux grands acteurs populaires, la série repose sur le contraste entre la séduisante Özgü Namal, qui joue le rôle de Meryem, une mère pieuse et tourmentée, issue d’un milieu modeste, originaire d’un village anatolien, et Özcan Deniz, dans le rôle de Levent, assez convaincant en psychiatre kémaliste intransigeant, jusqu’à la caricature.
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