En Argentine, des retraités de plus en plus pauvres : « Notre portefeuille, il n’a pas un cheveu sur le caillou »
Foulard couleur saumon noué autour du cou, lèvres maquillées d’un rose vif, vernis à ongles à peine émaillé dans les mêmes tons, Felicita Ruboni, 74 ans, s’apprête pour le déjeuner servi au centre des retraités de Saavedra, dans l’ouest de Buenos Aires, comme si elle se rendait à un événement mondain. Mais c’est contrainte et affligée que cette ancienne assistante médicale prend place à la table de cette maison de quartier, aux repas solidaires quotidiens financés par le PAMI, la couverture santé des retraités.
« Je suis absolument pauvre ! Je perçois la pension minimale [l’équivalent de 228 euros au taux officiel, auxquels s’ajoute un bon de 70 000 pesos depuis le mois de mars, soit 65 euros]. Une fois le loyer et les factures payés, je n’ai plus rien », souffle-t-elle. A côté de son assiette, sur une table en plastique blanc élimé, elle a déposé une boîte de conservation. La septuagénaire y range la moitié de son plat principal, un médaillon de poulet et du riz ce jour-là. Parcimonieuse, Felicita Ruboni s’assure ainsi son dîner et la possibilité de botter en touche quand ses enfants lui demandent si elle a besoin d’aide pour remplir son réfrigérateur : « J’ai tout ce qu’il faut, tout va bien. » « Me retrouver à quémander, alors que j’ai travaillé toute ma vie, la honte ! Ça me crève l’âme », confie-t-elle.
En ce midi d’octobre, dans la vaste salle aux murs en crépi beige, la soixantaine de bénéficiaires, tous issus d’une classe moyenne travailleuse, sont désormais proches de la pauvreté ou y ont déjà sombré. Ils ne sont pas seuls. Selon les données de l’Indec (l’institut de statistique argentin) portant sur le premier semestre, 52,9 % de la population est pauvre.
Ce taux est inédit depuis vingt ans, et en progression de onze points par rapport au deuxième semestre 2023, qui se concluait, le 10 décembre, par la prise de fonctions du président ultralibéral d’extrême droite Javier Milei. Ce dernier lançait sans attendre ses premières mesures dérégulatrices de l’économie, avec pour conséquence immédiate une explosion de l’inflation aux mois de décembre (25,5 %) et de janvier (20,6 %). Désormais ramenée autour de 4 % mensuels, la hausse des prix, redoutable fabrique à pauvreté, s’élève à près de 237 % sur un an.
Si les enfants restent les plus affectés par l’impécuniosité – plus de six mineurs de moins de 14 ans sur dix –, près de 30 % des plus de 65 ans étaient désargentés au premier semestre, soit douze points de plus qu’au semestre précédent. Pour Leopoldo Tornarolli, économiste à l’université de La Plata, ces statistiques reflètent l’extrême vulnérabilité des retraités : « Beaucoup sont à peine au-dessus de la ligne de pauvreté. Par conséquent, si leur pouvoir d’achat se détériore, ils basculent d’un moment à l’autre. »
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