Cannes 2024 : les maisons de luxe défilent dans les budgets des movies
Il y a eu d’abord quelques moyens-métrages comme Lux Æterna, de Gaspar Noé (2020), puis Strange Way of Life (2023), le western queer de Pedro Almodovar, ou encore Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de guerres », court-métrage de Jean-Luc Godard en 2023. Avant que Saint Laurent Productions ne se lance franchement sous le feu des projecteurs. La société de production de films du groupe Kering, première issue de l’industrie du luxe, lancée en avril 2023, a coproduit cette année trois longs-métrages sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes : le nouveau film de Jacques Audiard, Emilia Perez, un thriller musical aux thèmes mêlant narcotrafiquants et transition de genre, librement adapté du roman Ecoute (Stock, 2018) et présenté le 17 mai ; Les Linceuls, projet en partie autobiographique de David Cronenberg (le 20) ; Parthenope, la lettre d’amour à Naples de Paolo Sorrentino (le 21 mai) .
Si la mode et le 7e art se côtoient de longue date, cette coopération prend une nouvelle dimension dans un écosystème du luxe en pleine expérimentation. En septembre 2023, François Pinault, fondateur du groupe Kering, a pris, par le biais d’Artemis, sa holding familiale, le contrôle de Creative Artists Agency – valorisée dans l’accord à 7 milliards de dollars (6, 44 milliards d’euros). La puissante agence américaine des stars, pôle-clé de la production hollywoodienne, gère les carrières de Tom Hanks, Margot Robbie, Brad Pitt, mais aussi celle de Salma Hayek, épouse du PDG du groupe Kering, François-Henri Pinault.
Le 22 février, LVMH avançait ses pions en lançant 22 Montaigne Entertainment, société de production de films, d’émissions et de formats audio, mais aussi de programmes consacrés aux marques du groupe, à l’image d’Inside the Dream, sur les coulisses de la maison de joaillerie Bulgari, diffusé sur Amazon Prime Video. Une initiative gérée par Antoine Arnault, un des fils de Bernard Arnault, et Anish Melwani, le directeur des activités américaines de LVMH. « Nous nous réjouissons de formaliser notre approche de la promotion de nos maisons à travers des formats de divertissement », a confirmé sobrement Anish Melwani dans un communiqué. Pour le reste, la société, sollicitée par Le Monde, a refusé de s’exprimer et maintient la plus grande discrétion sur l’ampleur de ses ambitions.
« Au-delà du simple marketing »
Dans sa communication très corsetée, Kering affirme que ces films illustrent « le pilotage de la marque Saint Laurent dans le futur ». A la tête de Saint Laurent Productions, le directeur artistique belge de la marque, Anthony Vaccarello, a également dessiné les costumes des trois longs-métrages présentés à Cannes. « La réalisation d’un film peut avoir plus d’impact qu’une collection saisonnière », explique-t-il dans un entretien à Variety en 2023. Derrière ces projets se nichent des raisons pragmatiques. « Les grandes marques de luxe ont constaté une baisse de l’efficacité de leur publicité traditionnelle », commente Gregory Gray, historien du cinéma et co-investisseur dans des projets d’art et de divertissement. Après avoir investi l’art contemporain, elles se tournent vers le cinéma afin de toucher un public plus large. « Ce qui compte pour ces marques, c’est avant tout une collaboration avec un auteur de prestige. Leur objectif va au-delà du simple marketing, elles visent à être associées à la désirabilité et aux rêves du public », ajoute-t-il.
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