« On a appris des erreurs de l’Islande » : aux îles Féroé, des espoirs et des craintes face à l’essor du tourisme
Jorgen Niclasen n’aurait jamais cru qu’un jour des milliers de touristes débarqueraient aux îles Féroé. Que, sur cet archipel perdu dans l’Atlantique Nord, où le beau temps est rare et le brouillard épais, il croiserait des groupes d’Américains venus randonner autour des falaises de Kalsoy, photographier les maisons à toit d’herbe de Gjogv, ou observer les macareux sur les rochers de Mykines.
« Pour nous, les cascades, c’était juste de l’eau. Les fjords, juste des réserves de poissons. Les éperons rocheux, juste de la pierre. On ne voyait pas la beauté de tout cela », confie ce Féringien de 55 ans. L’été, il accompagne des touristes en bateau jusqu’à l’arche de Drangarnir, l’une des cartes postales les plus célèbres des îles Féroé. « Beaucoup décident de venir après avoir vu des photos sur Instagram. Les réseaux sociaux nous ont fait exister », reconnaît Jens Eystein i Lodu, cofondateur de Bluegate, l’agence qui organise des sorties en mer. Il a démarré son activité en 2017, avec un seul bateau à moteur. Il en possède désormais trois, et bientôt un quatrième. Pour une heure de périple, il faut compter 90 euros par personne.
Aux îles Féroé, l’essor du tourisme est récent : il a débuté il y a dix ans, et a chamboulé cet archipel peu connu de 54 000 habitants, département autonome du royaume du Danemark. Ces îles isolées, situées à mi-chemin entre l’Ecosse et l’Islande, ont accueilli 130 000 visiteurs en 2023, principalement entre mai et septembre – des Danois, pour une large part, mais aussi des Américains, des Allemands, des Britanniques, des Français… Un tourisme axé sur la randonnée et les activités de plein air, dans un décor de prairies et de falaises de basalte plongeant dans l’océan Atlantique.
En dix ans, les revenus issus du tourisme ont doublé, atteignant 125 millions d’euros en 2023. Thorshavn, la capitale, a été transformée, avec plus de boutiques, d’hôtels, de vie nocturne et de restaurants branchés, comme Roks, qui sert des oursins, des crabes des neiges et des langoustines dans une ambiance de taverne, le long du port. Désormais, on peut louer un vélo électrique, prendre un cours de surf, monter à cheval ou faire de la plongée. Alors que ce secteur comptait pour 1 % du produit intérieur brut (PIB) en 2015, il en représente désormais 6 %. Une révolution dans cet archipel volcanique qui compte, dit-on, plus de moutons que d’habitants.
L’essor de cette activité doit beaucoup à la volonté du gouvernement local, qui aspire à diversifier une économie fondée essentiellement sur la pêche en haute mer et l’élevage de saumon. Une manière d’être plus résilient face aux crises, dans un territoire qui joue en solitaire : il ne fait pas partie de l’Union européenne et n’est pas soumis aux quotas de pêche fixés par Bruxelles.
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