Entre la Russie et les Etats-Unis, un échange de prisonniers révélateur
Salué par le président américain, Joe Biden, comme un « exploit de la diplomatie et de l’amitié », l’échange de vingt-quatre prisonniers négocié par la Russie et les Etats-Unis, qui a abouti à la libération, jeudi 1er août, de seize otages occidentaux et détenus politiques russes, dont le journaliste américain du Wall Street Journal Evan Gershkovich et sa collègue Alsou Kourmacheva de Radio Free Europe, est à maints égards historique.
C’est d’abord le plus important échange de prisonniers depuis la guerre froide. Hormis le changement de cadre – l’échange n’a plus lieu à pied sur le Glienicker Brücke, le fameux « pont aux espions » de Berlin, mais à l’aide d’un ballet d’avions dans un aéroport de Turquie –, l’opération rappelle d’ailleurs toutes les caractéristiques de l’époque de l’affrontement Est-Ouest.
Négocié dans le plus grand secret depuis plus d’un an à de multiples niveaux sur fond de guerre en Ukraine, l’échange a impliqué la CIA, le département d’Etat et la Maison Blanche ainsi que plusieurs gouvernements alliés, grâce notamment à un canal de communication spécifique établi par les présidents Joe Biden et Vladimir Poutine lors de leur sommet à Genève en juin 2021.
Voilà pour la diplomatie. « L’amitié » saluée par Joe Biden ne s’adresse pas à la Russie mais aux pays européens, au premier rang desquels l’Allemagne, mais aussi la Norvège, la Pologne et la Slovénie, qui ont collaboré à cet effort. Très tôt dans les négociations, il est apparu que le pion essentiel pour Moscou était Vadim Krassikov, un agent russe condamné à la prison à perpétuité en Allemagne pour l’assassinat d’un opposant tchétchène à Berlin en 2019 et auquel M. Poutine a publiquement rendu hommage.
Pour Berlin cependant, en particulier pour la ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock, sa libération équivalait à accorder l’impunité à ce type d’exécutions politiques à l’étranger commanditées par Moscou. M. Biden a dû convaincre le chancelier, Olaf Scholz, de céder sur ce point. Berlin a en retour demandé d’inclure dans l’échange plusieurs Allemands et des militants démocrates russes de premier plan emprisonnés en Russie, dont Vladimir Kara-Mourza.
Une détestable pratique
Alexeï Navalny, qui fut le principal opposant à Vladimir Poutine, aurait aussi dû être libéré ; il faisait partie de la négociation, sur l’insistance de Berlin. Sa mort en prison, toujours inexpliquée, annoncée le 16 février par Moscou alors que les pourparlers progressaient dans le plus grand secret, montre à quel point le Kremlin reste figé dans les schémas du KGB de l’ère soviétique.
Il est tout aussi révélateur de la nature du régime de Moscou que les citoyens russes dont le Kremlin a obtenu la libération, accueillis en grande pompe par M. Poutine à leur retour, ne soient ni des militants politiques, ni des journalistes mais des criminels, comme M. Krassikov, ou des espions, comme le couple d’agents russes qui vivait en Slovénie sous une fausse identité argentine.
La différence avec la guerre froide porte sur ce qui est devenu une détestable pratique, dont raffolent les régimes comme la Russie et l’Iran : la diplomatie des otages. Tout étranger vivant dans ces pays s’expose aujourd’hui au risque d’être arrêté pour servir de pion d’échange dans une longue négociation. Le Français Laurent Vinatier, détenu à Moscou depuis juin, fait partie de ceux-là. Il faut se réjouir de la liberté recouvrée de seize personnes injustement emprisonnées, mais ne pas se méprendre sur les motivations de Moscou : nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle détente.