Entre la France et la Chine, soixante ans de relations diplomatiques tumultueuses et déséquilibrées
Sur l’écran noir et blanc du téléviseur, Charles de Gaulle répond aux journalistes dans l’une de ses conférences de presse au style inimitable. Après une heure consacrée à la politique intérieure, le chef de l’Etat revient sur l’annonce faite quatre jours plus tôt, le 27 janvier 1964, de l’établissement de relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Un tournant diplomatique majeur. Il invoque « le poids de l’évidence et celui de la raison ». « Est-il besoin de dire que, de notre part, il n’y a, dans cette décision, rien qui comporte la moindre approbation à l’égard du système politique qui domine actuellement la Chine ?, précise le président. La France reconnaît simplement le monde tel qu’il est. »
Cette reconnaissance est tout sauf évidente. Lorsque les troupes communistes s’emparent du pouvoir et que Mao Zedong proclame, le 1er octobre 1949, la République populaire de Chine, Paris comme Washington s’interrogent sur la politique à mener. Ils reconnaissaient jusqu’alors le gouvernement de Tchang Kaï-chek, contraint à un repli qui s’avérera définitif sur l’île de Taïwan. Les réquisitions des locaux de l’ambassade américaine à Pékin, mais aussi de ceux du centre d’études sinologiques de l’université de Paris, à la mi-janvier 1950, par les soldats maoïstes ont, de toute façon, clos le débat. D’autres ne font pas le même choix : dès le départ, les pays scandinaves, la Suisse et le Royaume-Uni reconnaissent diplomatiquement le nouveau pouvoir, sans toutefois envoyer d’ambassadeur à Pékin.
D’autres événements rendent l’établissement de liens diplomatiques impossible. Dès janvier 1950, la Chine est le premier pays à reconnaître le Vietnam communiste en guerre contre la France coloniale. Au début de l’été de cette même année éclate la guerre de Corée, à ce jour le seul conflit direct entre les Etats-Unis et la Chine, dans lequel la France est impliquée puisqu’elle y a envoyé un bataillon. Plus tard, la Chine maoïste soutiendra le combat des Algériens pour l’indépendance, se plaçant là encore en opposition à Paris.
Décision mythifiée
Mais tout change au début de la décennie suivante. Sortie, non sans humiliation, de ses deux conflits coloniaux, la France n’est plus considérée par Mao comme une puissance asiatique. Par ailleurs, à partir de 1963, Charles de Gaulle ne cache pas son scepticisme face à la volonté de Washington d’intensifier la guerre au Vietnam. Le héros de la France libre veut avoir voix au chapitre dans les affaires du monde et donc s’extirper de la logique des blocs Est-Ouest. Comme Mao Zedong, qui, de son côté, s’éloigne rapidement du grand frère soviétique : le Grand Timonier qualifie la déstalinisation menée par Nikita Khrouchtchev à partir de 1956 de révisionniste, puis, en 1962, accuse le dirigeant russe d’avoir cédé par peur des impérialistes américains dans la crise des missiles de Cuba. A l’instar de Paris, qui a réalisé en 1960 ses premiers essais nucléaires, Pékin, autre puissance atomique en gestation, s’oppose au traité limitant les essais atmosphériques sur lequel s’entendent Washington et Moscou.
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