Négociations sur l’Ukraine : Poutine et l’arme du temps
Oui, mais non. C’est, résumée en trois mots, la réponse de Vladimir Poutine à Donald Trump, jeudi 13 mars, au moment où les émissaires du président des Etats-Unis arrivaient à Moscou pour négocier le projet de cessez-le-feu en Ukraine mis au point par Washington.
« Nous sommes pour, mais il y a des nuances », a déclaré le président russe à propos de ce plan, dont le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a déjà accepté le principe. M. Poutine veut « en parler » avec les Américains et « peut-être appeler le président Trump », car il soulève « des questions importantes ». Pour lui, une telle trêve « doit conduire à une paix durable et s’attaquer aux causes profondes de cette crise ».
Le discours du chef du Kremlin, en fait, n’a pas changé. Ces « questions importantes », qui rejoignent les « causes profondes de la crise », portent sur ses revendications constantes depuis l’invasion de l’Ukraine il y a trois ans : démilitarisation et neutralité de l’Ukraine, changement de régime à Kiev et donc départ du président Zelensky, annexion définitive des territoires occupés. Cela équivaut à une capitulation de l’Ukraine, inacceptable pour ses dirigeants et sa population après des pertes en vies humaines d’une telle ampleur, et lourde de danger pour l’Europe.
Pour Vladimir Poutine, la « paix durable » ne peut se faire qu’à ce prix-là : on devine mal la place pour le compromis. M. Zelensky ne s’y est pas trompé, qui a dénoncé jeudi soir la réaction « hautement prévisible et manipulatrice » du président russe.

Ce que laissent deviner les propos de M. Poutine, en revanche, c’est sa stratégie dans cette phase de la guerre : éviter de dire non tout de suite pour ne pas provoquer Donald Trump, qui a menacé la Russie d’un torrent de nouvelles sanctions si elle n’entrait pas dans le jeu. Etablir un dialogue avec le président des Etats-Unis, car ce format replace la Russie dans une position de grande puissance et permet à son président de traiter d’égal à égal avec la superpuissance américaine, son rêve depuis la chute de l’Union soviétique. Autre avantage d’un tel dialogue : il réhabilite Vladimir Poutine, toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre.
Accroître son emprise sur le terrain
Mais, surtout, ne pas dire non à la proposition de trêve sans pour autant dire oui permet à M. Poutine de gagner du temps. Il a éprouvé la tactique avec succès par le passé : retarder le moment de l’arrêt des hostilités pendant que ses troupes en profitent pour accroître leur emprise sur le terrain.
C’est ce qu’il a fait en Géorgie en 2008, en imposant son calendrier au président Nicolas Sarkozy, qui négociait un cessez-le-feu au nom de l’Union européenne ; c’est ce qu’il a fait à Minsk en 2015, en tergiversant face à la chancelière Angela Merkel, au président François Hollande et au président Petro Porochenko pendant que ses forces avançaient pour faire tomber le nœud stratégique de Debaltseve, dans le Donbass. Aujourd’hui, il veut parler avec Donald Trump pendant que son armée et ses supplétifs nord-coréens reprennent la région de Koursk, ôtant ainsi à l’Ukraine le seul levier territorial dont elle disposait dans une éventuelle négociation.
« La patience et le temps sont mes armes de guerre », disait le général Koutouzov, vainqueur de Napoléon, le chef de guerre qui inspira Tolstoï dans Guerre et Paix. Dans la grande tradition russe, Vladimir Poutine impose l’arme du temps à un président américain pressé et impatient.