Hartmut Rosa, philosophe : « Contre l’AfD, le discours politique des partis établis et des médias dominants doit changer »
Mondialement connu pour son ouvrage Résonance. Une sociologie de la relation au monde (La Découverte, 2018), l’Allemand Hartmut Rosa est l’un des penseurs contemporains les plus influents, engagé à rendre plus optimiste l’héritage de la « théorie critique », un courant de la pensée allemande du XXe siècle représenté par Theodor W. Adorno (1903-1969) et Max Horkheimer (1895-1973). Apprécié dans son pays pour ses analyses critiques de la société, il enseigne depuis 2005 la sociologie à l’université Friedrich-Schiller, à Iéna, en Thuringe.
Que vous inspirent les résultats des élections régionales en Thuringe ?
C’était prévisible depuis un certain temps. En Thuringe, où je vis et travaille, la victoire électorale d’Alternative für Deutschland [AfD] est un véritable désastre. Ici, la branche régionale de l’AfD est classée comme étant d’extrême droite et « mise sous surveillance » par l’Office fédéral de protection de la Constitution. Avec Björn Höcke, la tête du parti en Thuringe, nous avons à peu près ce qu’il y a de pire. L’AfD a remporté plus d’un tiers des sièges du Parlement régional. Elle dispose désormais d’une minorité de blocage qui lui permet d’empêcher les modifications constitutionnelles ou la nomination des juges.
Selon l’institut de sondage Infratest Dimap, environ la moitié des électeurs de l’AfD ont « une vision du monde de droite, voire d’extrême droite ». Comment expliquez-vous que l’autre moitié, qui ne se déclare pas de droite, n’ait aucun problème à voter pour Björn Höcke ?
Si l’on prend au sérieux ce sondage, on trouve donc chez un sixième de l’électorat, soit la moitié du score de l’AfD en Thuringe, une pensée ethnonationaliste et d’extrême droite. Malheureusement, c’est désormais le cas dans toute l’Europe, peut-être même au niveau mondial. Ce qui compte maintenant, c’est de ne pas perdre définitivement l’autre moitié des électeurs de l’AfD. Et, pour réussir, le style de discours politique des partis établis et des médias dominants doit changer. A commencer par le réflexe persistant de qualifier de nazis tous ceux qui ne se situent pas dans le spectre politique allant de Die Linke [gauche] à la CDU [droite conservatrice].
La perception globale en Thuringe est que si l’on n’est pas d’accord avec l’opinion du gouvernement, on est immédiatement taxé de nazi. Si, pendant la pandémie de Covid-19, quelqu’un ne voulait pas se faire vacciner, c’était un nazi. Tu ne penses pas que Vladimir Poutine soit le diable incarné ? Tu es un nazi. Et beaucoup de gens me disent que ce tampon « nazi » les anoblit. Pour eux, cela veut dire : « Je suis quelqu’un qui pense par lui-même et qui résiste. »
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