Entre 2010 et 2023, le produit intérieur brut (PIB) de l’Union européenne (UE) a progressé de 21 % et celui des Etats-Unis de 34 %. Ce décrochage de l’Europe s’explique par les handicaps mentionnés dans d’innombrables rapports depuis plusieurs années : démographie déclinante, dépenses de recherche insuffisantes, système éducatif médiocre, autonomie industrielle faible, nombre annuel d’heures travaillées insuffisant (mille cinq cents en France contre mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf aux Etats-Unis, selon l’OCDE), prix de l’électricité deux à trois fois supérieur aux coûts américains, expatriation des start-up, bureaucratie excessive, non-application du principe de préférence européenne (78 % des commandes de l’industrie de défense sont passées hors d’Europe), marché largement ouvert aux importations chinoises…
On retrouve dans le rapport de Mario Draghi la plupart de ces faiblesses. L’ancien président de la Banque centrale européenne dit les choses sans détour, par exemple lorsqu’il dénonce la bureaucratie bruxelloise et plaide pour l’application du principe de subsidiarité, ou lorsqu’il affirme que les règles du marché européen de l’énergie « empêchent l’industrie et les ménages de profiter pleinement des bénéfices d’une énergie propre sur leurs factures ».
Mais la nouveauté de son rapport concerne surtout les solutions financières envisagées pour faire face à un supplément d’investissement de 800 milliards d’euros par an. Le rapport propose de développer la titrisation afin d’alléger le bilan des banques, qui pourraient ainsi prêter davantage. Une piste à examiner avec prudence, compte tenu de l’expérience américaine malheureuse qui conduisit au krach de 2008… Trois autres propositions sont franchement contestables : l’assouplissement de la régulation bancaire, l’accélération de l’union des marchés de capitaux sur le modèle américain, l’émission régulière d’une dette conjointe.
L’assouplissement de la régulation imposée aux banques n’est pas un sujet technique qui concerne les seuls initiés. Nos concitoyens ont trop souffert des crises financières pour que l’on évite de refaire les mêmes erreurs. En apparence, cet assouplissement est louable car il permettrait aux banques de prêter davantage. Mais la vérité est que nous ne sommes pas encore parvenus à effacer la réforme de juin 2004, qui avait autorisé les banques à calculer elles-mêmes leurs ratios réglementaires. Il est légitime de rapprocher les ratios calculés par les banques de ceux qui sont calculés par les régulateurs. Prendre prétexte du fait que les Etats-Unis n’appliquent pas cette réglementation est un curieux argument du point de vue de la stabilité financière. Des banques européennes solides sont un facteur d’attractivité pour les capitaux. Le rapport rappelle à cet égard que, dans le cadre de l’union bancaire, il est interdit à l’Etat d’intervenir en cas de difficultés d’une grande banque. Une recommandation vraiment irréaliste compte tenu des intérêts en jeu et de l’urgence à agir, comme on l’a vu aux Etats-Unis au printemps 2023, lorsque l’Etat fédéral et la Fed durent voler au secours de trois banques en faillite.
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