Alors que le mini-baby-boom des années 2000 avait fait entrevoir une renaissance des campagnes, celle-ci semble s’être en réalité épuisée. Trente-six départements français, au profil principalement rural, ont perdu des habitants entre les recensements de 2014 et de 2020. Ils étaient quatre fois moins il y a quinze ans. Dix-sept mille communes sont désormais entrées dans l’hiver démographique. Au-delà des ceintures périurbaines, qui bénéficient encore du desserrement de l’habitat, les espaces plus isolés ne disposent pas d’une attractivité résidentielle suffisante pour compenser la chute accélérée des naissances. Seule une minorité de territoires, situés dans les arrière-pays des littoraux ou près des grands axes de circulation, s’inscrit encore dans une trajectoire positive.
Pour la majorité des communes de faible densité, l’avenir est en revanche hanté par le spectre de la relégation. Un nouveau « chambardement de la France rurale », pour reprendre l’expression de Fernand Braudel dans L’Identité de la France (Flammarion, 1986), est à l’œuvre sur fond de vieillissement, de recompositions sociologiques et de transformation du tissu productif. Il ne fragilise pas les seules communes rurales puisqu’il entraîne souvent avec lui, dans une spirale négative, les petites agglomérations avoisinantes, voire la ville principale du département. En cela, l’opposition ville-campagne ne fonctionne pas. Les dynamiques rurales sont étroitement tributaires de l’état de santé des sous-préfectures ou des petits chefs-lieux qui forment le maillage fin et gradué du territoire français. Leurs destins sont intriqués.
« Syndrome des banlieues-dortoirs »
Bien que critiqué par les géographes, le concept de « France périphérique » prend véritablement sens à l’aune des transformations du système productif national. Des enquêtes du Crédoc ont montré que les travailleurs des bassins de vie à profil rural ou semi-rural sont exposés à une plus forte vulnérabilité économique, à travers des statuts souvent précaires, des postes à temps partiel ou à durée déterminée. Indépendants, salariés de très petites entreprises aux trésoreries fragiles, intérimaires… y composent une part prépondérante des actifs.
Les espaces ruraux en déprise agricole, à l’instar des petits bassins de sous-traitance ou des villes moyennes à fort héritage manufacturier, ont beaucoup perdu avec la désindustrialisation, la concentration d’exploitations agricoles passées « de la ferme à la firme », l’érosion des activités de fabrication artisanale. Les emplois de substitution (entreposage, fret, livraison, manutention, gardiennage) sont peu nombreux, moins valorisants, car chargés d’assurer la flexibilité logistique aux marges du nouveau modèle consumériste. La hantise du déclassement s’en nourrit. Les lieux de travail, comme les centres de services et les commerces, ont eu en outre tendance à s’éloigner des résidences, ce qui impose des distances, des temps de trajet et des coûts de transport en expansion. La vie sociale de nombre de bourgs, de lotissements et de hameaux tend à s’éteindre en milieu de journée, étendant aux campagnes le « syndrome des banlieues-dortoirs ».
Il vous reste 45.55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.