Toute honte bue, le premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, a remercié sur les réseaux sociaux, mardi 17 décembre, « les cinq pays » de l’Union européenne qui avaient pris position la veille, lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept, en faveur du gouvernement de Tbilissi, cible d’un fort mouvement de contestation populaire depuis trois semaines. Il a d’ailleurs cité les cinq pays : « Hongrie, Slovaquie, Italie, Espagne et Roumanie ».
En réalité, seules la Hongrie et la Slovaquie s’étaient opposées à des sanctions contre la Géorgie. Les uns après les autres, les gouvernements roumain, italien et espagnol ont publiquement démenti le Géorgien, révélant au passage une grossière manœuvre de désinformation apprise à bonne école, celle de la Russie. Ces trois gouvernements ont au contraire condamné la violence avec laquelle le pouvoir géorgien réprime les manifestations ; ils ont aussi précisé qu’ils soutenaient les mesures proposées par la haute représentante de l’Union européenne (UE) pour la politique extérieure, Kaja Kallas, visant à sanctionner les responsables de ces répressions. Ces mesures n’ont pu être prises à l’échelle européenne à cause du veto de la Hongrie et de la Slovaquie.
Il ne suffit pas, cependant, de rétablir la vérité. Depuis le 26 octobre, date des élections entachées de fraude qui ont reconduit le parti Rêve géorgien au pouvoir, les Européens sont embarrassés par le cas géorgien. Déjà très occupés avec l’Ukraine et la Moldavie, aux prises avec de multiples difficultés politiques et économiques dans plusieurs de leurs pays – et pas des moindres –, les Etats membres de l’UE donnent l’impression de simplement espérer que le problème finira par disparaître. Le problème : une population obstinément attachée à la voie européenne, en butte à un parti qui gouverne depuis douze ans par la captation de l’Etat et se soumet de plus en plus ouvertement aux desseins du Kremlin. Lorsque le gouvernement de Rêve géorgien a décidé, fin novembre, de quitter le processus d’adhésion de la Géorgie à l’UE, la population est sortie dans la rue. Depuis trois semaines, les manifestations sont quotidiennes, malgré la brutalité de la répression et plus de 400 arrestations.
Ne pas attendre l’unanimité à Bruxelles
Mais le problème ne disparaîtra pas. L’élection, le 14 décembre, de l’ex-footballeur d’extrême droite, prorusse, Mikheïl Kavelashvili, comme nouveau président de la Géorgie par un Parlement auquel l’opposition refuse de siéger, a montré la détermination du pouvoir à maintenir sa ligne de rupture avec l’Europe. La présidente élue en 2018, la pro-européenne et ancienne diplomate française Salomé Zourabichvili, dont le mandat s’achève le 29 décembre, soutient le mouvement de protestation populaire et entend rester à son poste tant qu’un nouveau Parlement ne sera pas élu, sans fraude.
Les Etats européens doivent exprimer plus fermement leur solidarité avec l’opposition démocratique géorgienne qui demande de nouvelles élections et sanctionner chacun les responsables de la répression sans attendre l’unanimité à Bruxelles, comme l’ont fait les Etats baltes. Le risque, sinon, est de faire subir à la Géorgie le même sort que la Biélorussie, désormais vassalisée par la Russie, et à Mme Zourabichvili le même sort que Svetlana Tsikhanovskaïa, voix de l’opposition biélorusse en exil. Laisser Vladimir Poutine mettre la main sur la Géorgie contre le gré de sa population enverrait un message de renoncement qu’il ne manquerait pas d’interpréter en sa faveur pour le reste du Caucase et pour l’Ukraine.