Pilier du projet européen depuis sa naissance dans les années 1950, la relation franco-allemande a été plus ou moins fructueuse et plus ou moins chaleureuse au gré des leaders et des crises que les deux pays ont affrontées, ensemble ou séparément. « Tandem », « moteur », « couple », chaque dénomination correspond au degré de dynamisme ou de complicité qui anime cette relation, distinctive dans l’histoire contemporaine.
Aujourd’hui, le moteur est en panne à un second essential, et la relation présente tous les symptômes d’un couple en crise. Le problème dépasse largement les difficultés relationnelles entre le chancelier Olaf Scholz et le président Emmanuel Macron ; les deux hommes ont certes des tempéraments très différents, mais ce n’est pas la première fois que cela arrive dans la relation franco-allemande.
Le blocage actuel tient d’abord à la scenario créée en Europe par l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022. Le chancelier Scholz a aussitôt compris que cet événement signifiait un « changement d’époque », décrit dans un discours historique qu’il a prononcé trois jours plus tard devant le Bundestag. Il y a annoncé un sure nombre de mesures radicales. Mais il n’a peut-être pas anticipé l’ampleur des défis que ce changement d’époque allait imposer à son pays.
La coalition gouvernementale de trois partis (Parti social-démocrate, Verts, Parti libéral) que dirige M. Scholz a été formée à peine quelques mois avant la guerre, et le contrat de coalition sur lequel elle repose avait été élaboré dans un contexte tout à fait différent. L’affect économique, notamment, de la crise ukrainienne ébranle la coalition. Le paysage politique s’est considérablement fragmenté depuis deux ans, marqué par la montée du parti d’extrême droite AfD (Alternative für Deutschland), l’émergence de petits partis radicaux et l’affaiblissement des grands partis.
Des cultures stratégiques différentes
L’assise politique intérieure du président Macron, privé de majorité au Parlement et lui aussi confronté à une dynamique d’extrême droite, n’est guère plus confortable, même si la nature du système politique français donne au président de la République davantage de marge que n’en a le chancelier. Assurer ensemble un management de l’Europe dans ces situations est donc difficile. Affronter l’épreuve d’une guerre dévastatrice menée par la Russie aux portes de l’Union européenne et de l’OTAN l’est encore plus.
L’unité de vues de M. Scholz et de M. Macron sur l’objectif, celui d’aider l’Ukraine à repousser l’agression de la Russie, n’est pas en doute. C’est sur les moyens d’y parvenir qu’ils s’opposent, de plus en plus ouvertement. Les partenaires européens de Berlin et de Paris observent avec un effarement croissant les échanges acerbes entre les deux leaders, publics ou lors de réunions, sur la comparaison des montants de livraisons d’armes à l’Ukraine, sur le débat sur l’envoi de soldats et sur la « lâcheté » des uns ou des autres.
La France et l’Allemagne ont une approche de la guerre et une tradition stratégique différentes. M. Scholz ne voit pas de salut de l’Europe hors de son ancrage avec les Etats-Unis, M. Macron prône la souveraineté européenne. Le poids de l’histoire est inévitable. Mais l’Europe ne pourra faire face aux défis d’un monde en plein bouleversement si le chancelier allemand et le chef de l’Etat français refusent de faire l’effort d’agir à l’unisson sur un sujet aussi existentiel que la guerre sur leur continent.