
C’est une réforme historique depuis l’après-guerre outre-Rhin. Le Bundestag a adopté, mardi 18 mars après-midi, le plan d’investissements inédit du futur chancelier Friedrich Merz pour réarmer et moderniser l’Allemagne face aux bouleversements géopolitiques actuels. Le projet de loi prévoit une réforme du « frein à la dette » afin de permettre une augmentation massive des emprunts en vue de soutenir les dépenses militaires et de stimuler la croissance.
Ce paquet de plusieurs centaines de milliards d’euros affectés à la défense et l’économie, qui nécessite un assouplissement des règles d’endettement inscrites dans la Constitution allemande, a été approuvé par 513 députés, soit la majorité des deux tiers des parlementaires présents, tandis que 207 l’ont rejeté. Les députés ont également validé la création d’un fonds d’infrastructure doté de 500 milliards d’euros. Pour entrer en vigueur, le texte doit encore être approuvé vendredi par le Bundesrat, la chambre représentant les régions.
Comme le reste de l’Union européenne, la première économie européenne est confrontée à des tensions commerciales et géopolitiques depuis le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.
« Premier grand pas » vers une défense européenne
Le vote est historique dans une Allemagne championne depuis des décennies de l’orthodoxie budgétaire et qui a longtemps négligé les dépenses militaires, au profit du parapluie américain qui la protégeait depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Mais les temps ont changé. Après le choc de l’invasion russe de l’Ukraine depuis février 2022, Berlin voit Washington se détourner de l’Europe et se rapprocher de la Russie, sous l’impulsion de M. Trump.
Devant la chambre basse du Parlement, M. Mertz, chef de file du camp conservateur (CDU/CSU), a appelé les députés à approuver ce volume d’investissements inédit pour contrer la « guerre contre l’Europe » menée par la Russie. Il s’agit « d’une guerre contre l’Europe et pas seulement d’une guerre contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine », a lancé le futur chancelier de 69 ans, énumérant les cyberattaques et sabotages d’infrastructures attribués à Moscou.
Friedrich Merz a aussi qualifié ce plan de « premier grand pas vers une nouvelle communauté européenne de défense » devant inclure « des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne », comme le Royaume-Uni et la Norvège.
Dans un changement de cap remarquable pour l’Allemagne, Friedrich Merz plaide désormais pour accroître l’indépendance européenne en matière de défense alors que la politique de Washington est devenue imprévisible. Le « bazooka » d’investissements, selon l’expression popularisée par les médias allemands, du chef des conservateurs est la pierre angulaire du futur gouvernement qu’il a entrepris de former avec le Parti social-démocrate (SPD) après sa victoire aux législatives de février.
Il prévoit un assouplissement du « frein à l’endettement », qui limite la capacité d’emprunt, pour les dépenses militaires et pour les régions. S’ajoute un fonds spécial – hors budget — de 500 milliards d’euros sur douze ans pour moderniser les infrastructures et relancer la première économie européenne en récession depuis deux ans, dont, sous la pression des écologistes, 100 milliards affectés à la protection du climat.
Déblocage d’une aide de 3 milliards d’euros pour l’Ukraine
Il s’agit « de donner une nouvelle direction à l’histoire de notre pays, un renouveau positif pour l’Allemagne, un renouveau positif pour l’Europe », a estimé le chef du SPD, Lars Klingbeil, devant les députés. Friedrich Merz avait décidé de faire voter les lois par le Bundestag sortant, car les partis des extrêmes, de droite et de gauche, détiendront une minorité de blocage dans le nouvel hémicycle qui se constituera le 25 mars. Le comité budgétaire du Bundestag devrait donner officiellement son accord vendredi à l’octroi de ces fonds, après le vote du Bundesrat, ont déclaré des sources parlementaires à l’Agence France-Presse.
Le plan allemand doit permettre aussi le déblocage d’un soutien militaire en suspens de 3 milliards d’euros pour l’Ukraine. Kiev pourrait ainsi recevoir des munitions d’artillerie et des grenades « dans les prochaines semaines », avait déclaré lundi le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Hebestreit, tandis que la livraison d’autres équipements lourds tels que les systèmes de défense aérienne IRIS-T et Patriot prendra jusqu’à deux ans.
En cette journée historique pour l’Allemagne, le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, fervent partisan d’un renforcement de la défense européenne, est à Berlin pour rencontrer le chancelier sortant, Olaf Scholz, puis dans la soirée Friedrich Merz.
Le futur dirigeant allemand a encore des semaines difficiles devant lui : il devra boucler les négociations avec les sociaux-démocrates pour former la coalition qu’il veut mettre sur pied d’ici le 21 avril. Ces discussions n’ont toutefois rien d’évident car les dépenses d’investissement massives vont s’accompagner d’économies à tous les niveaux et de réformes majeures mettant à l’épreuve la future grande coalition.